Le dernier festin de la plus grosse femelle requin mako (Isurus oxyrinchus) jamais pêchée est passé au crible par la NOAA. L'étude du contenu stomacal des rois des mers permet aux scientifiques de mieux comprendre le fonctionnement de la chaîne alimentaire. La biologiste Antonella Preti explique son travail en vidéo.
Antonella Preti, biologiste de la NOAA, est spécialisée dans l'étude des contenus stomacaux des requins. © usnoaafisheriesgov, NOAA
Le 3 juin 2013, une femelle mako (Isurus oxyrinchus) a été attrapée de façon légale dans le Pacifique, au large de Los Angeles. L’homme qui l’a pêchée a fait don des organes du poisson à la science. L’estomac de l’animal a ainsi fini entre les mains d’Antonella Preti, une biologiste de la NOAA. Spécialisée dans l’étude du contenu stomacal des poissons en tous genres et particulièrement des requins, elle affirme n’avoir jamais eu un requin mako aussi gros à analyser. La femelle mesurait presque 4 m de long et pesait 590 kg, mensurations largement au-dessus de la moyenne chez les makos.
Ce requin, de la famille des lamnidés qui inclut le grand requin blanc, est réputé pour manger tout ce qui lui passe sous les yeux. Il se nourrit d’oiseaux marins, de pieuvres, de divers poissons ou encore… de requins. D’après l’autopsie, il est aussi capable d’avaler tout rond un lion de mer ! À titre indicatif, un lion de mer adulte des eaux californiennes peut facilement peser 100 kg. Sacré festin donc pour le mako qui, d’après l’analyse du contenu stomacal, n'aurait rien mangé d'autre le dernier jour de son existence.
Antonella Preti étudie depuis 15 ans les contenus stomacaux des requins. Elle a analysé plus de 2.000 poches gastriques différentes, mais voilà probablement la plus grosse qu’elle ait rencontrée. Découvrir un lion de mer entier dans l’estomac de l’animal a été une surprise d’un grand intérêt. Sur le corps du lion de mer, on peut observer l’empreinte des dents du requin mako (à 2 mn dans le film). Celles-ci sont particulièrement pointues, et se distinguent formellement des dents d’un grand requin blanc, plus en forme de dent de scie.
Pourquoi porter tant d’attention au contenu stomacal des géants de la mer ? Une pièce découverte dans l’estomac détient beaucoup d’informations sur le rythme alimentaire du poisson. Chaque objet découvert dans l'estomac sera nettoyé, désincrusté et examiné en détail. Il en sera de même pour le suc gastrique, véritable mine d’or pour les biologistes. Aussi répugnante qu’elle puisse paraître, cette étude permet aux biologistes de comprendre le fonctionnement de la chaîne alimentaire. Qui mange qui ? Quand et comment les grands poissons se nourrissent-ils ? Des réponses essentielles à la compréhension de l’écologie, de la biologie de ces requins et des interactions entre les espèces.
Pour envisager une économie de pêche durable, il est par exemple essentiel de décrypter ces relations proies-prédateurs qui rythment la dynamique de la chaîne alimentaire. La surpêche est une menace majeure pour la faune aquatique. En plus de diminuer les stocks, elle modifie l’équilibre de la chaîne alimentaire. Des études, dont une publiée dans la revue Science en 2011, ont montré que les relations proies-prédateurs sont déjà endommagées. Il existe par exemple un seuil critique en dessous duquel le krill (la proie) est insuffisant et le nombre des oiseaux marins (les prédateurs) diminue sensiblement.