Chaque année, une dizaine de personnes sont tuées par des requins dans le monde. Dans le même temps, l'homme, lui, tue plus de 100 millions de requins. De là à dire que l'espèce est davantage en danger que ne l'est l'homme dans la mer, il y a un pas que les scientifiques franchisent allègrement.
Cette ligne de conduite, c'est également celle de Robert Calcagno, directeur général de l'Institut océanographique de Monaco et auteur d'un ouvrage intitulé "Requins, au-delà du malentendu" qui vient de paraître. Dans ce plaidoyer vigoureux en faveur des requins, il nous rappelle crûment que l'espèce court un véritable danger. En partie en raison d'une fausse réputation, celle de tueur qu'on lui attribue à tort.
"On compte 500 espèces de requins dans le monde et seulement 5 sont dangereuses, se justifie ainsi Robert Calcagno. Même pour ces cinq espèces-là, si l'on fait attention, les risques de blessures et de décès sont statistiquement très faibles. Les requins ne sont pas menaçants. Avec une dizaine de décès par an, ils font moins de morts que les scorpions, les serpents, les lions, les hippopotames et même les coquillages cônes".
Qu'est ce qui explique, alors, notre peur viscérale des requins ? "Cette peur est sans doute héritée de films comme les Dents de la mer mais pas seulement, ajoute le spécialiste. L'origine de ce mal est sans doute plus ancienne, plus profonde. Notre peur des requins est largement un mythe et l'homme a besoin de mythes, de craindre la nature pour mieux la respecter."
Toutefois, cette peur n'est pas la seule cause de la disparition des requins dans le monde. Car encore aujourd'hui, le requin, et plus particulièrement ses ailerons, reste un met prisé des Asiatiques.
"C'est toutefois en train de changer, ajoute Robert Calcagno. On essaie d'expliquer à travers le monde, que les comportements doivent changer ; Pour cela, nous travaillons avec une famille chinoise installée à Monacon les Hwang, qui relaient notre message. Et ça marche puisqu'à Hong-Kong déjà, deux grandes chaînes d'hôtels de luxe, le Shangri-La et le Pennsylvannia, ont arrêté de servir de la soupe de requin à leurs clients".
L'ouvrage du directeur de l'Institut océanographique met également en relief les dangers de la surpêche et des changements climatiques qui modifient le comportement des requins. "A La Réunion, les attaques de requins bouledogues sont peut-être liées à ces phénomènes", suppute le scientifique.
En Méditerranée, les requins ne sont pas épargnés. "On y trouve beaucoup d'espèces dont certaines, comme la roussette, sont commercialisées et en danger. On a également quelques grands Blancs, souvent au large qui ne viennent pas à proximité des côtes." En principe. Car on se souvient qu'à Carro, il y a quelques années, les pêcheurs du port avaient remonté, dans leurs filets, un requin blanc de six mètres, ce qui avait causé un certain émoi de la population mais fait la fierté des pêcheurs. La semaine dernière, le journal Corse matin se faisait aussi l'écho d'un requin hâ (ou milandre) de 140 cm, capturé au large de Bastia et qui avait été bagué... en juillet 2001 au large de Greystone en Irlande. Ce requin-hâ a donc parcouru pas moins de 3 900 km en 12 ans. Et si Robert Calcagno a, le week-end dernier, découvert un peau bleu (requin inoffensif) vendu sur le marché aux poissons des Embiez, c'est bien que la Méditerranée reste un passage migratoire obligé pour beaucoup d'espèces.
C'est aussi le signe que l'homme a, lui aussi, beaucoup évolué. "On va davantage se baigner, faire du surf, du kite-surf et parfois beaucoup plus loin ce qui augmente forcément le risque de rencontres inopportunes", conclut Calcagno. L'homme doit donc davantage apprendre à cohabiter qu'à exterminer. En ce sens, le rôle de l'Institut océanographique, qui participe aux discussions internationales autour de la protection des espèces, s'avère majeur.
Dès cette semaine d'ailleurs, l'Institut monégasque consacre une grande partie de ses ressources à la sauvegarde des requins. Un cycle de conférences et de nombreuses expositions permettront, du moins son directeur l'espère, de changer notre regard sur ces animaux exceptionnels.