Prescription du médicament vétérinaire : mise en œuvre de la « cascade » prévue à l’article L. 5143-4 du code de la santé publique (CSP)
La présente note de service a pour but de faire le point sur les conditions de prescription du médicament vétérinaire selon le principe de la « cascade » définie par l’article L. 5143-4 du CSP, et en particulier de développer les cas d’extension d’utilisation des LMR pour des espèces et denrées données à d’autres espèces et denrées.
Références :
- Code de la santé publique, notamment article L. 5143-4.
- Règlement (CEE) n°2377/90 du Conseil du 26 juin 1990 modifié établissant une procédure communautaire pour la fixation des limites maximales de résidus (LMR) de médicaments vétérinaires dans les aliments d’origine animale.
- Arrêté ministériel du 16 octobre 2002 relatif à la fixation des temps d’attente par le vétérinaire.
1) Introduction
La mise en application du règlement (CEE) n° 2377/90 du 26 juin 1990 établissant une procédure communautaire pour la fixation des limites maximales de résidus (LMR) de médicaments vétérinaires dans les aliments d’origine animale est à l’origine du retrait d’un certain nombre d’autorisations de mise sur le marché (AMM) ces dernières années.
Le développement de nouveaux médicaments vétérinaires jusqu’à l’obtention de l’AMM demande un investissement important de la part des laboratoires pharmaceutiques vétérinaires. Il en résulte que le vétérinaire est confronté sur le terrain à des problèmes de disponibilité et ne dispose pas toujours de médicaments vétérinaires possédant une AMM pour toutes les pathologies auxquelles il est confronté chez toutes les espèces animales qu’il est amené à soigner (un rapport sur la disponibilité du médicament vétérinaire est consultable sur le site www.anmv.afssa.fr).
Afin de remédier à ce problème, le code de la santé publique définit à l’article L. 5143-4 les modalités selon lesquelles un vétérinaire peut utiliser un médicament en dehors des indications pour lesquelles il a été autorisé (utilisation hors AMM).
Après un rappel rapide des modalités, nous aborderons les principaux problèmes que suscite sa mise en application :
- cas dans lesquels un vétérinaire peut avoir recours à la cascade ;
- problème des LMR ;
- problème des temps d’attente forfaitaires.
2) Présentation du principe de la « cascade » (art. L. 5143-4 du CSP)
Le principe de la « cascade » est défini au niveau communautaire dans la directive instituant le code communautaire relatif au médicament vétérinaire (directive n° 2001/82/CE du 6 novembre 2001). Les mêmes règles s’appliquent donc dans l’ensemble de l’Union européenne.
Le vétérinaire doit prescrire en priorité un médicament vétérinaire bénéficiant d’une autorisation (autorisation de mise sur le marché ou A.M.M., autorisation temporaire d’utilisation ou A.T.U., autorisation d’importation ou enregistrement dans le cas des médicaments homéopathiques, ) qui définit notamment les espèces animales de destination et les indications thérapeutiques. Ces autorisations sont accordées suite à l’évaluation d’un dossier scientifique assurant la qualité, l’innocuité et l’efficacité du médicament. Le vétérinaire peut ainsi utiliser le médicament en toute sécurité.
Cependant, il n’existe pas toujours de médicament vétérinaire autorisé pour toutes les espèces ou toutes les pathologies auxquelles le vétérinaire est confronté.
Aussi, l’utilisation hors AMM des médicaments est autorisée sous certaines conditions.
Lorsqu’aucun médicament vétérinaire autorisé et approprié n’est disponible le vétérinaire peut prescrire :
- en première intention, un médicament vétérinaire autorisé pour des animaux d’une autre espèce dans la même indication thérapeutique ou pour des animaux de la même espèce dans une indication thérapeutique différente,
- si un tel médicament n’existe pas, il peut alors utiliser un médicament vétérinaire autorisé destiné à une autre espèce pour une autre indication thérapeutique,
- si les médicaments mentionnés précédemment n’existent pas, il peut alors prescrire un médicament autorisé pour l’usage humain ;
- à défaut des médicaments précédents, il peut en dernier recours prescrire une préparation magistrale vétérinaire (c’est-à-dire une préparation extemporanée préparée à partir de la prescription d’un vétérinaire selon les bonnes pratiques de préparation extemporanée par un pharmacien ou un vétérinaire).
Deux contraintes supplémentaires doivent être observées par le vétérinaire qui prescrit en utilisant la « cascade » :
- lorsque le médicament est destiné à être administré à des animaux dont la chair ou les produits sont destinés à la consommation humaine, les substances pharmacologiquement actives qu’il contient doivent être inscrites aux annexes I, II ou III du règlement 2377/90 susmentionné ;
- le temps d’attente fixé par le vétérinaire sur sa prescription ne peut pas être inférieur aux temps d’attente forfaitaires fixés par l’arrêté ministériel du 16 octobre 2002, à savoir 28 jours pour la viande, 7 jours pour le lait, 7 jours pour les œufs, 500 degrés-jours pour la chair de poisson. (exemple : temps d’attente de 40 jours lorsque l’eau est à 12,5°) [500 : 12,5 = 40].
La mise en œuvre de la « cascade » soulève trois types de problème :
- les conditions de recours à la « cascade », c’est-à-dire qu’entend-on par « aucun médicament vétérinaire autorisé, approprié n’est disponible » ?
- l’obligation d’utiliser des médicaments contenant des substances pharmacologiquement actives inscrites à l’une des annexes I, II ou III du règlement (CEE) n° 2377/90 ;
- la fixation du temps d’attente.
3) Médicament vétérinaire « approprié » et « disponible »
On entend par médicament vétérinaire autorisé :
- l’autorisation de mise sur le marché ou A.M.M.(art. L. 5141-5) ;
- l’autorisation temporaire d’utilisation ou A.T.U. (art. L. 5141-10) ;
- l’enregistrement dans le cas des médicaments homéopathiques (art. L. 5141-9) ;
- l’autorisation d’importation (art. L. 5142-7) qui vaut AMM.
En ce qui concerne la disponibilité, elle ne doit pas être interprétée comme un simple problème d’approvisionnement physique. Ainsi une rupture de stock chez le vétérinaire ou chez un distributeur ne saurait être recevable pour rendre éligible l’application de la cascade. Tous les distributeurs en gros de médicaments vétérinaires ont l’obligation de fournir leurs clients en médicaments vétérinaires autorisés sur le marché dans un délai de 24 heures.
Seule l’hypothèse d’un arrêt de commercialisation par l’exploitant de l’AMM (suite à une décision volontaire de sa part ou involontaire telle que la fermeture de l’établissement de fabrication) peut entraîner des problèmes de disponibilité.
Quant au caractère « approprié » du médicament, il doit être établi par le vétérinaire prescripteur sur la base de son jugement professionnel, sur des critères scientifiques ou sanitaires et sous sa propre responsabilité mais, en aucun cas, sur des critères d’ordre économique.
Dans l’hypothèse qu’il existe un médicament autorisé pour l’espèce cible dans la pathologie concernée et que le vétérinaire souhaite utiliser un autre médicament, la notion d’absence de médicament « approprié » doit être établie sur la base d’échecs thérapeutiques préalables. Dans ce cas, la notion d’échec thérapeutique préalable peut s’entendre sur l’individu concerné par le traitement, mais aussi en fonction du type de traitement et des modes de production, sur une bande précédente.
En tout état de cause, cet échec préalable doit pouvoir être documenté par le vétérinaire prescripteur, et avoir impérativement fait l’objet d’une déclaration de pharmacovigilance pour insuffisance d’efficacité du médicament dûment autorisé.
4) Existence d’une LMR
Jusqu’à présent, la DGAl restreignait l’usage de la « cascade » uniquement aux cas où une LMR était fixée pour l’espèce animale et la denrée produite à laquelle le médicament était administré.
Cette position très restrictive peut désormais être assouplie suite à des précisions apportées par la Commission européenne et à une évaluation faite par l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments.
Les annexes du règlement LMR précisent pour chaque substance les LMR par espèce et par denrée et éventuellement par voie d’administration. Lorsque qu’une substance pharmacologiquement active est inscrite dans une annexe LMR, cela signifie qu’elle a fait l’objet d’une évaluation de sa toxicité pour l’homme.
Dans le cadre de l’application de la « cascade », l’obligation de LMR doit se comprendre indépendamment des restrictions d’espèces figurant dans l’annexe I, II ou III du règlement.
Sous réserve des restrictions relatives aux denrées précisées dans le paragraphe suivant, l’utilisation d’un médicament contenant une substance inscrite dans l’une de ces annexes est ainsi possible quelle que soit l’espèce de destination finale du médicament.
L’AFSSA-ANMV estime qu’il est nécessaire d’appliquer un raisonnement par denrée.
Ainsi :
- lorsqu’une LMR est définie pour le muscle, la graisse ou les abats, les médicaments contenant cette substance peuvent être utilisés chez des animaux producteurs de viande, de graisse ou d’abats quelle que soit l’espèce ;
- lorsqu’une LMR est définie pour le lait, les médicaments contenant cette substance peuvent être utilisés chez toutes les femelles laitières quelle que soit l’espèce ;
- lorsqu’une LMR est définie pour les œufs, les médicaments contenant cette substance peuvent être utilisés chez les femelles d’une espèce pondeuse quelle que soit l’espèce.
A noter que :
- l’utilisation chez les poissons est possible à condition de disposer d’une LMR muscle et/ou graisse dans une autre espèce.
- les traitements à destination des abeilles sont exclus de la cascade, sauf si une LMR pour le miel existe.
Remarque en ce qui concerne la LMR œufs : les œufs de poules reproductrices sont parfois destinés à la consommation (casserie). Dans ces conditions, lorsqu’il y a administration de médicaments vétérinaires à ces animaux une LMR œufs doit être fixée si l’on veut éventuellement destiner des œufs à la Consommation humaine. Si le vétérinaire prescrit des médicaments ne disposant pas de LMR œufs, les œufs pondus par ces poules ne pourront en aucun cas être envoyés en casserie.
5) Temps d’attente
Dans le cadre de l’utilisation d’un médicament autorisé dans une même espèce mais pour une indication thérapeutique différente de celle de l’AMM, le temps d’attente applicable est identique au temps d’attente mentionné dans l’autorisation de mise sur le marché si la posologie prescrite est identique ou inférieure à celle prévue dans l’AMM. Si une augmentation de dose, de fréquence de traitement, de durée de traitement ou un changement de voie d’administration (à l’exception dans ce dernier cas de la voie locale) est nécessaire pour l’indication visée, le temps d’attente préconisé doit être au minimum égal au temps d’attente forfaitaire mentionné dans l’arrêté du 16 octobre 2002.
Dans le cas de l’utilisation d’un médicament autorisé pour une espèce de destination différente de celle de l’AMM, le temps d’attente préconisé ne doit pas être inférieur aux temps d’attente forfaitaires indiqués dans l’arrêté du 16 octobre 2002 et rappelés précédemment.
Dans le cas d’abattage survenant avant la fin du temps d’attente forfaitaire et rendu nécessaire pour une raison dûment motivée de santé publique ou de protection animale, l’article R.* 234-3 du code rural s’applique : un contrôle de la teneur en résidu, lorsque des méthodes analytiques sont disponibles, doit être réalisé pour que les denrées issues de cet animal soient déclarées propres à la consommation humaine. L’AFSSA - ANMV propose que la référence pour ces contrôles puisse être la LMR pour la denrée considérée, même si l’espèce précisée dans l’annexe du règlement LMR est différente de l’espèce traitée dans le cadre de la cascade.
En effet, l’établissement des LMR est basé sur une approche de toxicité chronique et intègre des facteurs de sécurité considérables. Pour une utilisation ponctuelle dans le cadre de la cascade, l’utilisation de la LMR existant pour une espèce différente de l’espèce de destination n’est pas de nature à créer un risque pour la santé du consommateur.
Il est donc difficile d’envisager le recours à la cascade dans les espèces dont le mode de production rend inapplicable le temps d’attente forfaitaire (28 jours pour la viande), à l’exception du cas où il s’agit d’une autre indication thérapeutique dans une espèce autorisée, et qu’il n’y a pas de modification de la posologie.
Conformément à l’article L. 5141-7 du CSP, qui prévoit les conditions d’administration d’un médicament vétérinaire, le temps d’attente est :
- soit fixé par l’autorisation du médicament vétérinaire,
- soit fixé par le vétérinaire prescripteur, et sous sa responsabilité, lorsqu’il choisit de recourir à la « cascade » définie par l’article L. 5143-4 du CSP. Il ne ressort donc pas de la compétence de l’Administration d’avaliser le temps d’attente fixé par le vétérinaire, le rôle de l’Administration se limitant à indiquer les règles à observer en la matière.
6) Perspectives d’évolution
Après deux ans de travaux, la modification de la réglementation européenne concernant le médicament vétérinaire vient d’aboutir par la publication de la directive n° 2004/28/CE du 31 mars 2004 modifiant la directive n° 2001/82/CE qui entrera en vigueur au bout de 18 mois durant lesquels les Etats membres doivent effectuer sa transposition.
Cette modification concerne notamment l’article 10 qui instaure la cascade. Les principales modifications suivantes ont été adoptées au niveau communautaire (dans l’attente de la transposition dans le droit français) :
- une nouvelle catégorie de médicaments a été rajoutée après le recours de médicaments à usage humain, le vétérinaire peut désormais utiliser des médicaments vétérinaires autorisés dans un autre Etat membre. Toutefois, il est à noter que les dispositions nationales concernant l’importation de ces médicaments s’appliquent et qu’une autorisation d’importation délivrée par l’AFSSA (art. L. 5142-7 du CSP) est donc nécessaire préalablement à l’utilisation de ce médicament ;
- une liste de substances, ne disposant pas de LMR utilisables pour le traitement des chevaux destinés à la consommation sous réserve d’observer un temps d’attente forfaitaire de six mois avant la présentation du cheval à l’abattoir, sera établie par procédure de comitologie ;
- les chevaux déclarés comme n’étant pas destinés à la consommation humaine sont considérés comme des animaux de compagnie et le vétérinaire n’est pas soumis aux contraintes du règlement LMR pour l’application de la cascade.
- les temps d’attente forfaitaires ne sont pas modifiés actuellement mais ils pourront l’être par voie de comitologie.
7) Remarques
Les annexes du règlement « LMR 2377/90 » sont consultables à la rubrique LMR du site internet de l'AFSSA-ANMV (www.anmv.afssa.fr). Les principes actifs sont classés par ordre alphabétique. Ainsi pour chaque substance les LMR sont indiquées, lorsqu'elles existent, par espèce et par denrée.
La modification de cette directive a été un travail de longue haleine car elle est adoptée par procédure de co-décision, c’est-à-dire qu’il est nécessaire d’obtenir un consensus entre le Parlement et le Conseil européen pour adopter le texte. Par contre, la procédure de comitologie est plus souple puisque les décisions sont adoptées par les Etats membres par vote à la majorité qualifiée au sein des comités permanents.
8) Sanctions à la « cascade »
8.1) Concernant la pratique de la « cascade » proprement dite
Le code de la santé publique (art. L. 5143-2, L. 5143-4) ne prévoit aucune infraction. Cependant, une action disciplinaire à l’encontre du vétérinaire prescripteur peut être engagée conformément à l’article R. * 242-93 du code rural (juridiction ordinale). De même, la « cascade » peut faire l’objet d’une plainte auprès des tribunaux par le propriétaire des animaux concernés qui se constitue partie civile.
8.2) Concernant les conséquences de la « cascade » (sur les denrées)
8.2.1) Mesures de police administrative
En matière de police administrative, il faut rappeler que dans l’hypothèse où la « cascade » rentre dans le cadre de l’article L. 234-2 du code rural (CR) [ce qui suppose que les substances considérées soient visées par ce dernier article, comme par exemple les hormones, les substances interdites visées à l’annexe IV du règlement 2377/90, ou les substances pharmacologiquement actives non évaluées, donc non inscrites à l’une des annexes de ce règlement, et pour autant qu’elles relèvent de l’article L. 5144-1 du CSP], les dispositions de l’article L. 234-3 du CR peuvent s’appliquer en permettant notamment au vétérinaire inspecteur d’ordonner l’abattage et la destruction des animaux ou de leurs produits. Préalablement à l’exécution des mesures prévues par ce dernier article, le détenteur ou le propriétaire doit être mis en mesure de présenter ses observations.
8.2.2) Dispositions pénales
Le code de la santé publique ne prévoit pas de sanctions pénales aux infractions à l’article L. 5143-2.
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